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« Carrefour » voudrait bien 50 000 bouteilles de « vin méthode nature »

Un vigneron bio a été sollicité par l’enseigne de super et hypermarchés Carrefour qui souhaitait lui acheter la bagatelle de 50.000 bouteilles de vin naturel labellisées « vin méthode nature ». Ce nouveau label encadrant les vins dits nature ou naturels, créé en 2019, s’avère être le premier à être officiellement reconnu, notamment par les Fraudes, et intéresse donc tous les réseaux de distribution, y compris la plus grande.

Une bouteille de vin méthode nature (crédits NWII/DR)

La GD à l’affût des vins de niche

En l’occurrence, les vins dans le viseur de l’enseigne Carrefour ne pourront être certifiés « vin méthode nature », pour des questions d’ordre technique (les raisins dont ils sont issus n’ayant pas été vendangés à la main, l’une des conditions d’obtention du label), mais il est à peu près certain que la grande distribution continuera de courir après ces vins porteurs d’un nouveau label jugé valorisant.

Au-delà de cette anecdote, il semble en effet plus que probable que d’autres grandes enseignes de distribution cherchent rapidement – si ce n’est déjà le cas – à mettre la main sur des lots importants de vins certifiés « vin méthode nature ». C’est à l’évidence une nouvelle niche commerciale, potentiellement forte, qui ne peut qu’intéresser ces grands metteurs en marché (le récent rachat par le groupe Carrefour de la chaîne « Bio c’ bon » aura d’ailleurs peut-être été un catalyseur de ce point de vue). Car nous parlons ici de vins naturels certifiés, une première en France.

Dans quelle mesure Carrefour, Leclerc – qui a de son côté contacté l’Anivin (Association nationale interprofessionnelle des vins de France) pour faire savoir qu’ils recherchaient des vins « nature » pour les foires aux vins – et les autres pourront-ils acquérir ce type de vin ? A la marge (par exemple par le biais du marché gris, qui voit s’échanger des vins par des canaux de distribution qui, s’ils sont légaux, ne sont pas autorisés par le producteur original) ou dans des volumes bien plus conséquents ? C’est tout l’enjeu ici.

Un cahier des charges suffisamment exigeant pour empêcher toute récupération ?

Le Syndicat de défense des vins naturels (par souci de transparence, sachez que l’auteur de ces lignes en est l’un des acteurs) a été créé en 2019 suite à la distillation d’un lot de vins naturels du vigneron ligérien Sébastien David ; des vins jugés impropres à la commercialisation pour cause d’acidité volatile trop élevée, ce que le vigneron a contredit, analyses à l’appui – en vain.

Le propos du syndicat est double : d’une part, encadrer par une charte technique les vins dits nature ou naturels afin d’éviter tout abus et, d’autre part, soutenir les vigneron·nes et autres professionnel·les (cavistes, etc.) de ce secteur, encore relativement isolés au sein de la filière.

Pour ce faire, le syndicat a notamment élaboré un cahier des charges définissant en douze points ce à quoi correspond un « vin méthode nature » (les expressions « vin nature » ou « vin naturel » ayant été retoquées par les Fraudes). Parmi les pré-requis, on retrouve l’agriculture biologique certifiée, les vendanges manuelles, l’usage exclusif de levures indigènes et une vinification sans intrants (seul un faible ajout de sulfites est autorisé, après la fermentation, et il doit être indiqué sur le logo le cas échéant).

Est-ce suffisant pour prévenir toute récupération, en particulier de la part des plus gros metteurs en marché, tels l’enseigne Carrefour, qui chercheront à acquérir les plus gros volumes possibles de ces vins au meilleur prix ?

Historiquement, pour rappel, dans un souci de cohérence et d’éthique artisanale allant de la vigne au verre, la très grande majorité des vignerons et vigneronnes « nature » ne travaillent en effet pas avec la grande distribution, mais avec les cavistes indépendant·es.

« C’est une bonne nouvelle »

Alors, risque de récupération ou non ? Pour en avoir le cœur un peu plus net, j’ai demandé son avis au vigneron Jacques Carroget, président du Syndicat de défense des vins naturels.

Agnès et Jacques Carroget, domaine La Paonnerie (crédits Raisin/DR)

La GD est dans son rôle d’épicerie que de vouloir vendre des vins nature, il y a un marché ; et ils ont épuisé tous les autres marchés. Mais je trouve que c’est tout de même une bonne nouvelle. Cela démontre que notre démarche est connue et reconnue.

On peut aussi constater, comme nous l’avons toujours dit avec Gilles [Azzoni, autre vigneron cofondateur du syndicat, ndlr], que notre cahier des charges est suffisamment restrictif pour préserver l’âme du vin. Le vigneron en question n’a pas pu fournir, il aurait peut-être aimé ?

Néanmoins, si les différentes contraintes techniques inscrites dans la charte peuvent a priori empêcher la labellisation de volumes industriels, le syndicat a-t-il d’autres moyens d’éviter que des « vins méthode nature » se retrouvent sous les néons de la grande distribution ?

Nous ne pouvons pas mettre de restrictions autres que techniques à notre label, sinon la DGCCRF [les Fraudes, ndlr], à la base de notre réussite, ne nous suivrait pas.

Lors des discussions de création de la charte, ce sujet avait cependant été maintes fois abordé. Le garde-fou que nous avons inscrit dans nos statuts est notre capacité à faire des audits de production ciblés [pour s’assurer par exemple qu’un domaine qui produirait soudain des volumes très importants de vins labellisés « vin méthode nature » respecte bien la charte, ndlr]. Je n’étais pas pour, y préférant les contrôles purement aléatoires, pour ne pas risquer d’avoir affaire à des formes de délation. Mais je me suis rangé aux avis majoritaires.

Avec, je l’espère, un accroissement qualitatif et quantitatif de notre syndicat, le risque sera surtout d’être plus laxistes. L’histoire des appellations nous l’enseigne. Gardons-nous donc de toute surenchère, pour pouvoir tenir notre ligne.

La voie du caviste

Il existe d’ailleurs une manière bien plus simple de trancher net toutes ces questions : ne pas acheter ses vins en grande distribution. No wine is innocent vous encourage en effet à n’acheter vos vins, qu’ils soient « vin méthode nature » ou non, que ce soit pour une petite ou une grande occasion, qu’en cave indépendante. Des ouvrages spécialisés et surtout l’application gratuite « Raisin » peuvent vous y aider au besoin.