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Affaire de la caricature sexiste : « J’aimerais qu’on laisse mon corps de femme tranquille »

Il y a deux mondes. Et ils étaient très visibles ce mardi 4 mai, à la 17e chambre du Tribunal de Paris, où sont traitées les affaires de la presse. À droite, Thierry Desseauve, 63 ans, directeur de la rédaction d’En Magnum, est assis derrière son conseil, Maître Christophe Bigot. Derrière eux se tient Régis Franc, l’auteur de la caricature, ainsi que quelques soutiens, uniquement masculins. À gauche, Fleur Godart, 35 ans, est entourée de ses amies et collègues ainsi que de Maître Eric Morain, qui l’assiste. 

Sans notes, les mains dans le dos, Thierry Desseauve s’avance à la barre  : « C’est la première fois en trente ans d’exercice de ce métier que je suis convoqué dans une audience de ce type. C’est extrêmement douloureux d’être identifié comme un représentant du sexisme et du machisme de cette profession. » D’après lui, ce dessin ne « dépasse pas les limites de la caricature classique ». 

La caricature mise en cause

Des ennemis de classe ? 

Fleur Godart tremble imperceptiblement. Avant le procès, elle arpentait les couloirs, son texte à la main. La parole, ici, est la seule arme. Et dans ce théâtre qu’est la justice, avec les effets de manche de ses acteurs, tout peut se jouer dans la force d’une intonation ou d’une virgule bien placée. Elle attend d’être appelée tandis que Thierry Desseauve poursuit : « On est devenus, pour un certain monde des vins nature, des ennemis de classe. Les gens qui nous attaquent pour ce dessin travaillent tous dans le monde des vins nature, comme Maître Morain et son éditeur, qui a écrit à une dizaine de nos annonceurs. (Ndlr : Thierry Desseauve fait ici référence à Antonin Iommi-Amunategui, également rédacteur en chef de ce site. Il sera régulièrement évoqué au cours du procès.) Cette affaire leur permet de se payer une institution. » Il affirme ensuite ne pas connaître Fleur Godart ainsi que « très peu d’agents en vin ». 

Fleur Godart relisant son texte avant le procès. Tribunal de Paris, 4 mai 2021.

Meilleure sommelière et « biocons »

Dans sa robe à trente-trois boutons, Maître Morain interpelle Thierry Desseauve  : « Savez-vous quand a été récompensée pour la première fois la meilleure sommelière de France ? » Thierry Desseauve l’ignore. « C’était en 2020 », répond l’avocat. Il lui demande ensuite de décrire le dessin. La publicité « Myriam », où une femme montrait d’abord le haut puis le bas, est aussitôt évoquée. Elle date de 1981.

Comme on en est aux bons vieux souvenirs, Me Morain demande alors à Thierry Desseauve s’il se rappelle de l’expression « biocon », formulée par Michel Bettane dans un article de 2007 où il exprimait sa position très réservée, et c’est un euphémisme, sur les vins naturels. Pas étonné d’être interrogé à ce sujet, il explique ce qu’a voulu dire « son maître » (sic) : « On percevait les vins nature comme un recul. Dans les bistrots, les chefs avaient une posture de rebelle, donc les vins devaient être rebelles. » 

« Défonçons-lui le Covid » 

Il est près de dix-huit heures, soit plus de quatre heures après le début supposé du procès, quand Thierry Desseauve est prié de fournir une explication sur la formule « Défonçons-lui le Covid ». « Il y a beaucoup de grotesque là-dedans, mais peut-être qu’il faut arrêter la caricature. Peut-être qu’on a changé d’époque », déplore-t-il, avant de faire l’éloge de Jean-François Bizot et de la clique d’Actuel

Grotesque est également le mot qui nous vient à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer la défense de Régis Franc, dessinateur et vigneron, qui n’hésite pas à décrire son dessin comme celui « d’un pauvre homme, un caviste, intimidé devant une jolie femme. La femme est très dominante. » Sur la parenté entre « Vins et Volailles », le nom commercial de la société de Fleur Godart, et « Poulet Rautiz », il affirme que c’est une référence implicite à son propre domaine, « Chante-Cocotte » (« comme dans l’expression Chante Cocotte, tu m’intéresses, se sent-il obligé d’expliquer à la Cour, entièrement féminine). « Enfin, pourquoi “Défonçons-lui le Covid” ? Parce que dans ce dessin la femme parle avec des termes un peu machistes, et l’homme est très humilié (sic). » (Fleur Godart insistera plus tard sur le pluriel employé dans « défonçons », qui relèverait d’après elle de la rape culture ou culture du viol – un simple coup d’œil aux étiquettes de n’importe quel caviste ou au compte Instagram Paye ton pinard convaincra les plus dubitatifs). « J’ai passé 10 ans chez Elle, poursuit Régis Franc, 73 ans. Si j’avais été agressif ou méchant avec les femmes, ça se serait su. Je trouve que la jeune femme que j’ai dessinée là est plutôt solide. » Qu’elle soit obligée, en période de Covid, de se prostituer pour survivre économiquement ne semble pas émouvoir le dessinateur. 

Climat sexiste dans le milieu du vin

C’est maintenant à la partie civile de s’exprimer. Fleur Godart revient sur le climat sexiste qui règne dans le milieu du vin et évoque de nombreux exemples : l’affaire Marc Sibard, dont elle a été victime, sans oublier les remarques incessantes sur son physique ou ses compétences remises en cause parce qu’elle est une femme. « J’aimerais qu’on me laisse tranquille. Qu’on laisse mon corps de femme tranquille, qu’on cesse de dire que je suis une pute. » Elle explique sa démarche de création de cuvées féministes, où l’insulte « pute », une fois réappropriée par la victime, se retourne comme une arme vers l’agresseur qui ne peut plus l’utiliser. « On a ici des hommes qui parlent de sexisme à une femme : moi, je veux qu’on arrête de me donner des leçons. »

La cuvée « Putes Féministes » de Vins & Volailles.

L’immédiateté de l’identification à Fleur Godart dans le dessin est ensuite évoquée par Me Morain. « Même si un cercle restreint d’initiés reconnaît quelqu’un, cela suffit. » Il rappelle que la loi 1881 est claire : c’est au directeur de la publication de faire la part des choses.

Des « tétons mobilisés » 

Cette démonstration ne semble pas convaincre la Procureure, qui affirme que « les éléments de contexte ne permettent pas d’identifier de manière évidente Madame Fleur Godart ». Néanmoins, elle précise : « Est-ce une injure à caractère sexiste ? Clairement, ce dessin a un caractère sexiste. La femme utilise ses attributs féminins […] et ses tétons proéminents sont mobilisés. »

Maître Christophe Bigot, le conseil du prévenu, frétille : « On a réussi par cette campagne à faire un merveilleux coup pour vendre des vins naturels ! » Le fait que Fleur Godart ait les cheveux blonds (« aux tempes rasées », souligne-t-il) lui inspirera par ailleurs un grand moment de plaidoirie capillaire.  

Confondant ensuite « BD » et « caricature » (il est intéressant de noter que BD et B+D forment les mêmes initiales, mais  nous laisserons le lecteur seul juge de ce lapsus), Me Christophe Bigot affirme qu’il serait dans la nature même de la BD d’être sexiste. « Le sexe est une inspiration majeure de la BD. Plus de stéréotypes, plus de BD ! » Qu’en pensent Pénélope Bagieu, Mirion Malle, Catel Muller, Anna Wanda Gogusey ou encore Alison Bechdel ?

Bingo anti-féministe

Il est vingt heures quand nous nous levons. Entre le mansplaining à outrance, le « on ne peut plus rien dire », le « c’était mieux avant » et beaucoup de ouin-ouin, on a touché le fond du bingo. En sortant du Palais désert, une phrase brille au-dessus des portiques de sécurité : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». Mal de crâne – la journée a été longue.

Illustration issue de « Herstory, histoire(s) des féminismes » par Marie Kirschen et Anna Wanda Gogusey, éditions La Ville Brûle. Reproduit avec la permission de l’auteure.

« Une extraordinaire démonstration de paternalisme » 

Contactée le lendemain par téléphone, Fleur Godart commente brièvement : « Leur défense a été une extraordinaire démonstration de paternalisme à la Cour [entièrement féminine, pour rappel] : “Je vais vous expliquer à quel point vous êtes instrumentalisées” ! Une dernière chose : si j’avais attendu des procès en justice pour vendre du vin… » Elle ne terminera pas sa phrase – la suite le 8 juin, jour du rendu du délibéré.

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Gel historique sur l’Hexagone : le millésime 2021 salement amoché

C’est en train de devenir une mauvaise rengaine. A l’instar des canicules désormais récurrentes, les épisodes de gel sévères se succèdent à intervalles de plus en plus rapprochés, éteignant les bourgeons que le printemps a tout juste eu le temps d’éveiller, annihilant en quelques heures tout ou partie de la vendange à venir, comme cela vient de se produire en ces premiers jours d’avril. Et d’autres épisodes sont à craindre dans les jours prochains.

Dans le vignoble, du Languedoc au Bordelais en passant par le Jura, la Loire, la Bourgogne ou le Rhône, 2021 pourrait même être l’année la plus noire depuis des décennies. Le plus souvent démunis, sans aides ni assurances, les vignerons et vigneronnes tentent de faire face, avec les moyens du bord, ou doivent se contenter de constater les dégâts, souvent irrémédiables. Pour beaucoup, ce sera un millésime quasiment mort-né.

Bougies déployées dans les vignes au domaine La Grapp’A à Arbois (DR)

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies »

Fabien Brutout (domaine Le Facteur sur le Vélo) a des vignes à Vouvray et en Indre-et-Loire. Sur une partie de ses vignes, il a tenté de lutter activement contre le gel.

« J’ai utilisé des bougies de paraffine, sur deux hectares. Il en faut 300 par hectares, à environ 10 euros pièce… C’est cher et ce n’est vraiment pas l’idéal, parce que ça pollue. »

Le tout sans aides officielles. Si Fabien a pu se payer ces bougies – un budget conséquent d’environ 6000 euros – c’est grâce à la solidarité, une campagne de financement participative qu’il avait lancée lors de l’épisode de gel précédent.

« Il n’y a pas d’aides de l’État, parce qu’on peut s’assurer. Mais l’assurance ça coûte 2000 euros par an et par hectare, minimum. »

Autant dire que la plupart des domaines n’ont pas les moyens de s’assurer et ne l’envisagent pas un instant. De son côté, malgré les fameuses bougies, Fabien en est à 50 % de perte, pour le moment. Parce que cette année, c’est pire que tout.

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies », assure-t-il.

Bougies dans les vignes de Fabien Brutout (DR)

« Les bougies et les hélicos, c’est hors de prix »

Au domaine des Côtes de la Molière, à Vauxrenard (Beaujolais), Isabelle et Bruno Perraud, qui ne sont pas assurés contre le gel et ne toucheront a priori pas d’aides, sont plutôt fatalistes.

« On n’a rien tenté, parce que ça ne sert pas à grand-chose. Les bougies et les hélicos c’est hors de prix, et il y a aussi l’impact écologique… »

Certains domaines faisant en effet appel à des hélicoptères, qui survolent les vignes à très basse altitude pour brasser vivement l’air et prévenir ainsi le gel. Une pratique coûteuse et certainement discutable d’un point de vue écologique. Pas de ça chez les Perraud.

« Il faut admettre qu’on ne peut pas tout maîtriser. Demain on va faire de la tisane de consoude pour essayer de cicatriser tout ça. Les pertes sont importantes mais on ne sait pas encore les évaluer. »

Un bourgeon « brûlé » par le gel au domaine des Côtes de la Molière (DR)

La valériane, « ça limite la casse »

Au domaine La Paonnerie (Loire), Marie Carroget écarte d’emblée les bougies.

« On n’a pas les moyens et ça pollue. »

A la place, le domaine pulvérise dans les vignes des préparations à base de valériane, qu’il faut appliquer la veille des gelées puis le matin même.

« On a gelé partout, à différents degrés, il y aura forcément une grosse perte. Mais avec la valériane, on gagne à 1 à 2 degrés, ça limite la casse. En 2019, ça avait bien marché. On ne peut pas lutter contre le gel, alors on essaye d’accompagner la plante, pour qu’elle ne stresse pas trop. »

Action anti-gel dans les vignes à l’aube, au domaine La Paonnerie (DR)

« Gel en 2017, 2019 et 2021… »

Au domaine de Pelissols, à Bédarieux (Languedoc), Vincent Bonnal, qui travaille seul, n’a pu que constater les dégâts.

« Je n’ai rien tenté. Les braseros et autres joyeusetés, c’est compliqué à mettre en place quand t’es tout seul, et au vu des températures atteintes c’est peu efficace. »

« Niveau pertes, je suis entre 30 et 50 % minimum, le muscat a énormément morflé, de l’ordre de 90 %. Après c’est quelque chose qui finit toujours par arriver. En général, lorsque tu t’installes, tu dois prévoir de perdre une récolte tous les 5 ans en moyenne. L’intérêt d’être vigneron, c’est de pouvoir avoir du stock en cave pour lisser. Le souci, c’est surtout la répétition de plus en plus régulière de catastrophes climatiques. Gel en 2017, 2019 et 2021, sécheresse en 2019, mildiou hardcore en 2020… »

Des aides en perspective ?

« Peut-être, on va voir ce que les départements et régions vont proposer. Mais honnêtement je doute, surtout pour les tout petits comme moi. Peu de chance que cela compense de toute façon. »

« Plus de 95 % du pays est concerné »

Et ce ne sont là qu’une poignée de témoignages ; des milliers de domaines viticoles, pour ne parler que du vin, ont été lourdement affectés ces derniers jours. Dans le Jura, par exemple, c’est un véritable ravage. Chez Valentin Morel, à Poligny, les dégâts sont considérables, « plus graves qu’en 2017 et 2019 », avec un taux de perte « aux alentours de 80 % ». Valentin rappelant d’ailleurs qu’un gel début avril ne semble pas spécialement anormal.

« Ce qui l’est davantage est plutôt l’anormale douceur de la fin février et un temps estival durant 10 jours fin mars qui ont fait débourrer la vigne bien trop tôt. »

Au-delà, d’après l’agro-météorologue Serge Zaka, c’est simple : « Il s’agit très certainement de la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole ». Plus de « 95 % du pays est concerné ».

« Calamité agricole » et « Vendanges Solidaires »

Quoi qu’il en soit, en attendant d’éventuelles aides débloquées par le ministère de l’Agriculture (le gouvernement s’étant engagé à déployer le régime de calamité agricole), chacun et chacune peut déjà contribuer à son niveau, par exemple en faisant un don à l’association Vendanges Solidaires qui vient en aide aux vignerons et vigneronnes « mis en danger par le déréglement climatique ».

Très active, l’asso met régulièrement en œuvre des opérations caritatives pour donner de la visibilité à son action et engranger des fonds. Prochain rendez-vous le 15 avril, pour une vente aux enchères en ligne de belles bouteilles au profit des vignerons et vigneronnes sinistré·es.

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Boiriez-vous du vin naturel en canette ?

Le vin en canette existe depuis une dizaine d’années : des vins sans grand intérêt, vendus en supermarché et à l’export ; en bref, une niche du vin conventionnel. Mais, à la mi-mai, une vraie nouveauté va débarquer, chez les cavistes cette fois : du vin naturel conditionné en canettes. Et derrière, il n’y a pas n’importe qui.

Les premières canettes de vin naturel

Une pointure du vin nature à la manœuvre

C’est Jean-Pierre Robinot, que les amateurs et amatrices de vin naturel connaissent bien, qui ouvre le bal du vin nature en canettes (canettes qui, à la différence des autres, ne seront vendues que chez les cavistes indé et à l’export). Robinot, désormais épaulé par fille Juliette, est un puriste du vin nature : ses vins de Loire 100 % raisin vont et viennent chez les meilleurs cavistes depuis une vingtaine d’années. Membre de l’AVN (Association des vins naturels) depuis sa création, le vigneron a aussi cofondé l’association des vins S.A.I.N.S. (sans aucun intrant ni sulfites ajoutés) et est très largement respecté dans le milieu. Qu’est-ce qui lui a donc pris de vouloir mettre son nom sur une canette ?

« J’y pense depuis 30 ans »

Pourquoi du vin en canette ? Pourquoi pas, répond Jean-Pierre Robinot.

Jean-Pierre Robinot, le 19 mars 2021 chez « Crus & Découvertes » (Paris 11)

« Il y a la bière, bien sûr. Mais le vin en canette, j’y pense depuis 30 ans. Ça fait 20 ans que je suis vigneron, mais avant, quand je tenais un bistrot à paris, j’y pensais déjà. La canette, c’est à la portée de tous ceux qui ne connaissent pas le vin, ça pourrait amener d’autres amateurs à découvrir le vin nature, pour un pique-nique, sur les quais, n’importe où. Des gens qui sont pas spécialement branchés vin, plus jeunes, qui boivent de la bière, des sodas, ils vont tester… Et si on est seul, ça évite d’ouvrir une bouteille. »

A noter que dans ces premières canettes de vin naturel – un rouge de cabernet-franc et un blanc de chenin – ce n’est pas son vin qu’on trouvera.

« Je n’ai pas assez de vin. Mais j’ai choisi des vins qui sont solides, que j’ai testés avant. On en a écarté, un grolleau trop fragile par exemple. »

Il a rencontré un vigneron, installé dans le sud de l’Anjou, et lui a pris trente hectolitres de vin en conversion bio, vinifié en nature, sans aucun intrant, soit de quoi faire environ 8000 canettes ; lesquelles sont en aluminium, mais recouvertes pour la partie interne d’un vernis alimentaire protecteur afin que le vin soit isolé du métal.

« J’ai ramassé les raisins chez lui, mais le vin c’est lui qui l’a fait. Moi je vais en parler à tous mes importateurs, dans le monde entier. Aux Etats-Unis, il paraît qu’il se vend des millions de canettes. Là-bas ça devrait marcher, et peut-être dans d’autres pays du Nord. »

Et les cavistes ?

Mickael Lemasle de « Crus & Découvertes », cave parisienne réputée et exigeante en matière de vin nature, a pu goûter les deux premières cuvées sélectionnées par Jean-Pierre Robinot, qui seront ensuite conditionnées en collaboration avec la marque de canettes Winestar. Qu’en pense-t-il ?

« C’est pas mal. Mais je ne suis peut-être pas la cible. Je veux bien en faire un petit peu, pour voir ce que ça peut donner. Après en soi, la canette, pourquoi pas. »

En tout cas, les 8000 premières canettes « test », moitié de rouge moitié de blanc, seront disponibles à partir de la mi-mai. Deux vins qu’on a pu goûter et qui, en effet, sont tout à fait corrects, dans un genre accessible, a priori susceptible de convertir ceux et celles qui ne connaîtraient pas le vin naturel. Leur fabricant précise d’ailleurs que si les vins en canette ont par principe vocation à être consommés rapidement, ils peuvent aussi se conserver quelque temps sans problème.

Les canettes signées Robinot, d’une contenance de 25 cl, devraient sortir à environ 8 euros pièce ; un prix relativement élevé qui pourrait néanmoins s’avérer un frein sur le marché français… Il n’empêche, c’est bel et bien le premier vin naturel en canette.

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Procès des pesticides à Bordeaux : les « super-vilains » du CIVB

En 2020, l’association Alerte aux toxiques a publié les résultats d’analyses révélant la présence de nombreux résidus de pesticides dans des vins, essentiellement de Bordeaux, pourtant labellisés HVE (« Haute Valeur Environnementale »). En réaction, l’interprofession des vins de Bordeaux (CIVB) a porté plainte — et elle vient de remporter une première bataille avec une condamnation de l’association et de sa porte-parole Valérie Murat pour dénigrement, assortie de dommages et intérêts à hauteur de 125 000 euros. Cette réaction procédurière et agressive du CIVB était-elle bienvenue ? Va-t-elle servir au mieux les intérêts de la filière des vins de Bordeaux que le CIVB est censé représenter ?

Un tire-bouchon Dark Vador (source : Cadeau dans le mille)

Qui perd gagne

Médiatiquement, déjà, c’est mort : Basta, Le Canard Enchaîné, Reporterre, La Croix, 20 Minutes, L’Express, Rue89 Bordeaux, le JT de 20 heures de France 2 (qui a même refait des analyses confirmant la présence de nombreux résidus dans un échantillon HVE sur deux) et bien d’autres médias, y compris étrangers, ont relayé l’affaire, en mettant généralement davantage en avant le combat et la peine subie par Valérie Murat et son association, plutôt que le point de vue du CIVB. Un « backlash », ou retour de bâton, doublé d’un effet Streisand, qui était pourtant largement prévisible.

L’avocat de la défense, Eric Morain, parle d’ailleurs de « procédure bâillon ». En clair : l’intention de faire taire les lanceurs et lanceuses d’alertes dénonçant l’usage immodéré des pesticides dans l’agriculture, et dans le vignoble en particulier. Raté.

Une image doublement écornée

Toutes les conditions semblent donc réunies pour faire passer le CIVB, et avec lui les vins de Bordeaux, pour les super-vilains de l’histoire. Un échec de communication patent, mais aussi semble-t-il un échec stratégique total pour l’interprofession bordelaise. J’ai réalisé un sondage (via Twitter) dont les résultats sont sans appel : 60 % des personnes ayant répondu considèrent que cette condamnation — alors même qu’elle leur est favorable — « nuit à l’image des vins de Bordeaux », quand moins de 5 % d’entre elles estiment que la victoire du CIVB au tribunal (temporaire, qui plus est, avant appel) redore cette même image…

Même si un sondage via Twitter n’a évidemment pas valeur scientifique, le différentiel des réponses est trop net pour ne pas être considéré.

Jusqu’à 100 000 euros de frais de justice pour le CIVB

Les vins de Bordeaux, et derrière eux les milliers de vignerons et vigneronnes de la région, ne méritent-ils pas une représentation (qu’ils et elles, pour rappel, financent via les fameuses contributions volontaires obligatoires) plus digne et fine que cela ?

Les moyens employés par le CIVB pour cette assignation en justice [contacté, le CIVB n’a pas, à cette heure, répondu à ma demande concernant le montant des frais de procédure engagés par l’interprofession dans cette affaire] n’auraient-ils pas pu trouver meilleur usage ?

D’après plusieurs spécialistes, vu le pedigree du cabinet d’avocats (Bredin Prat) sollicité par le CIVB, ces frais pourraient osciller entre 40 000 et 100 000 euros. Une somme pour le moins conséquente.

De quoi HVE est-il le nom ?

Sur le fond, est-il normal qu’on retrouve quasi-systématiquement des traces et résidus de pesticides (en l’occurrence, un cocktail de sept molécules différentes en moyenne) dans des vins labellisés « Haute Valeur Environnementale » ? Parmi les molécules détectées : des perturbateurs endocriniens potentiels, des substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) probables et des fongicides SDHI. Quelle image cela renvoie-t-il de la viticulture en question, censée valoriser l’environnement ? Le CIVB n’aurait-il pas dû plutôt remercier l’association Alerte aux toxiques et employer ces fonds, non pas pour l’envoyer au tribunal, mais pour participer à l’amélioration technique d’un label manifestement bancal ? Au 1er juillet 2020, plus de 8000 exploitations agricoles étaient pourtant déjà certifiées HVE (un nombre, qui plus est, en très forte croissance).

Autant de questions dont nous espérons avoir bientôt les réponses du CIVB (l’article sera bien sûr mis à jour le cas échéant).

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Vin naturel : à l’école du trouble

Il n’y a pas d’école de formation aux vins nature. Voici pourquoi. 

Aristote, premier hipster de l’Antiquité. Ici dégustant un verre d’Échalier (circa -332 av.n.è.)

Il n’y a pas de formation pour devenir écrivain. Cela ne s’apprend pas. C’est une situation. C’est une nécessité métaphysique ou ça ne l’est pas. Il n’y a pas de chemin. C’est pire que tout. Écrire c’est vouloir être seul·e pour arrêter la solitude. Ça ne marche pas. Ça rend constamment malheureux, surtout les jours sans. Les jours sans écriture sont des jours vides. Il y en a beaucoup. Les jours où l’on n’écrit pas, c’est le drame. Il y a la colère. L’envie de détruire tout ce qu’on a. Tout ça ne s’apprend nulle part. Il faut naître avec, il faut vivre avec. C’est une humiliation quotidienne. Le sentiment de sa propre médiocrité vous réveille la nuit. Ce n’est pas agréable, ce n’est pas gentil. Écrire n’a aucun sens pour l’ordre du monde. C’est la métrique de Duras, celle qui reste plantée au fond du cœur : « Écrire. Je ne peux pas. Personne ne peut. Il faut le dire : on ne peut pas. Et on écrit. » Aussi, c’est une maladie. Comme l’alcool. D’ailleurs, Duras avait les deux. L’écriture, et l’alcool. Et elle a écrit sur les deux. Les trois grandes écrivaines du XXe siècle français adoraient l’alcool. Colette, avec gourmandise ; Sagan, avec mélancolie ; Duras, avec génie. Il y a un lien entre l’alcool et l’écriture, un lien assez net. L’alcool est l’un de seuls psychotropes assez puissant pour entraîner la totalité de l’être dans les mêmes débordements que l’écriture.  

On n’apprend pas à désapprendre

S’il n’y a pas de formation pour devenir écrivain, il n’y a pas non plus de formation pour aimer les vins nature. On n’apprend pas à désapprendre. C’est l’équation impossible. On ne peut pas dire à quelqu’un : sois libre. Les formations à la dégustation fonctionnent comme des ateliers de « Creative Writing ». Comme le soulevait Mademoiselle Jaja dans son dernier article sur Ni Bu Ni Connu, elles permettent de franchir les étapes, celles des errances, des échecs ; elles permettent de gagner du temps, parfois de manière conséquente, des décennies d’hésitations. Elles vous rendent légitime, vous donnent un diplôme, un statut, des connaissances, mais aussi des « formules » et aussi des contacts, des passe-droits – et pourtant, elles n’apprennent rien. Apprendre les vins nature est une aporie. C’est pour cela qu’il n’existe aucune formation spécifique pour ces vins. C’est une contradiction. Cela ne peut pas se faire. 

On ne peut enseigner l’errance, la liberté, le temps qui passe. C’est quelque chose qui s’acquiert en vagabondant. Cela n’a aucun prix, ou alors il faudrait donner un prix à la vie même. Le nez qui s’est trompé possède une archive d’odeurs bien plus vaste que toutes les formations qui sont pressées d’associer des goûts et des odeurs au monde du connu. Prenons « Le Nez de Lenoir », ce coffret très cher, très chic, rempli de petites fioles aux liquides ambrés censés former les amateurs. C’est une bonbonnière. Une maison européenne du « connu ». Pomme, melon, litchi, champignon, poire, cuir, musc, safran, poivre, truffe, cannelle, citron, caramel, chocolat, ananas, banane. C’est un garde-manger, une épicerie. Cette même épicerie où se trouvent des vins de supermarché, entre le rayon shampoings et le rayon surgelés. C’est pratique. C’est rassurant. Ça fait « pro » de dire qu’un vin a des notes d’amande et de miel d’acacia. C’est appétissant, un vin qui sent la groseille et la cerise. Tous les vins du sud ont de la groseille et de la cerise. 

Le vin nature, c’est de la littérature

Là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit de décrire un vin nature. Ces vins contiennent des souvenirs qui n’entrent pas dans le panthéon de la rétro-olfaction. Il y a du gravier.  De la rosée. Des dentelles un peu moisies. Une brassée de fleurs de lavande, au fond de la commode. De la craie sur l’ardoise. Du sable mouillé. Des vers de terre au printemps. Il y a des murs d’église. Le métal des encensoirs. L’eau croupie du vase. Le sang sur le papier du boucher. Le chaud du métro ou de la photocopieuse. L’odeur indescriptible d’une voiture, l’été. Ou celle de la peau du matin, pas celle du soir. Rappelez-vous : la rouille sur les grilles du parc. Mais aussi la semoule crue, la mousson, la neige sur les moufles. Ce sont des odeurs complexes, pleines d’images. Ça ne se trouve pas dans les formations professionnelles. C’est de la littérature, une perception intime du sensible qui doit franchir les étapes du temps. C’est ma seule consolation, face à l’écriture. Les années « sans », les jours « sans » enrichissent le livre d’images. La frustration et la peine en font partie. 

Aristote buvait (sûrement) du pét’ nat’

Je ne sais pas si une école des vins nature est souhaitable, je ne sais pas si elle peut avoir lieu. Mais si un tel lieu existait, je voudrais qu’elle soit en forêt, sans murs, sans toit. Que les sens soient constamment chahutés par les éléments. Que le corps sorte de son atrophie de confort. Les cours seraient donnés en marchant, comme l’école péripatéticienne d’Aristote. On y apprendrait à lire. Beaucoup de poésie, beaucoup de théâtre, beaucoup de littérature et de philosophie. Il y aurait des gens de tous les âges qui viendraient avec leur biographie olfactive. Ce serait une école de la dégustation par la langue, l’autre langue.  

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Bordeaux unbashing

Le « bordeaux bashing », c’est un marronnier du mondovino depuis plus de 10 ans déjà. La première mention de cette expression que j’ai retrouvée, c’est sous la plume d’un Américain (logique), dans le Wall Street Journal daté du 4 décembre 2010 : “Bordeaux bashing has become a new form of wine snobbery” (« le dénigrement du bordeaux est devenue une nouvelle forme de snobisme du vin »). Mais pas n’importe quel Américain : l’auteur de cette phrase n’est autre que Jay McInerney. Ce célèbre écrivain du vin (romancier à la base, proche de Bret Easton Ellis à qui il a été associé dans le Brat Pack) serait-il l’inventeur de l’expression en question, usée depuis jusqu’à la corde, des deux côtés de l’Atlantique ? A priori, non : la maternité pourrait bien en revenir plutôt à Alice Feiring, autre autrice bien connue dans le milieu du vin, qui l’a employée dans un article du magazine Wine & Spirit daté lui aussi de décembre 2010 mais paru en novembre — c’est serré. On pencherait donc plutôt pour elle, même si, de son côté, elle n’en est pas certaine… Convenons qu’à défaut d’autre preuve matérielle, on peut la lui attribuer !

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Ivresse : cinquante nuances de «gris»

Durant les fêtes, en moyenne, 66% d’entre nous boivent de l’alcool, et finissent, pour beaucoup, un peu pompettes, gris, ivres, voire complètement saouls… Quitte à l’être de nouveau cette année, autant le bredouiller avec originalité : voici cinquante (et quelques) façons de dire son ivresse !

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Critiques de vin et autres pros : sommes-nous tous des alcoolos ?

La plupart des textes qui concernent le vin m’ennuient. Les fiches de dégustation me font bailler. J’aime ce que le vin draine comme autres sujets ; quand il est le point de départ d’une discussion plus vaste. « Pourquoi le vin est-il intimidant » est un vrai prétexte pour parler de sociologie. « Être sommelière et Noire » est une question politique. « Pourquoi les femmes dans le vin sont encore marginalisées » reste une obsession philosophique. La liste est longue. 

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« Carrefour » voudrait bien 50 000 bouteilles de « vin méthode nature »

Un vigneron bio a été sollicité par l’enseigne de super et hypermarchés Carrefour qui souhaitait lui acheter la bagatelle de 50.000 bouteilles de vin naturel labellisées « vin méthode nature ». Ce nouveau label encadrant les vins dits nature ou naturels, créé en 2019, s’avère être le premier à être officiellement reconnu, notamment par les Fraudes, et intéresse donc tous les réseaux de distribution, y compris la plus grande.

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Le problème avec les vieux mâles blancs du vin

Avertissement préalable : tous les vieux mâles blancs du vin ne posent pas de problème (je ne suis d’ailleurs pas loin, à 46 ans, d’en être un moi-même), mais tout le problème semble venir de vieux mâles blancs du vin. Surtout, derrière ce titre délibérément provocateur, il y a une réalité qui, si elle est évidemment loin d’être propre au seul milieu du vin, s’y manifeste violemment.