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Gel historique sur l’Hexagone : le millésime 2021 salement amoché

C’est en train de devenir une mauvaise rengaine. A l’instar des canicules désormais récurrentes, les épisodes de gel sévères se succèdent à intervalles de plus en plus rapprochés, éteignant les bourgeons que le printemps a tout juste eu le temps d’éveiller, annihilant en quelques heures tout ou partie de la vendange à venir, comme cela vient de se produire en ces premiers jours d’avril. Et d’autres épisodes sont à craindre dans les jours prochains.

Dans le vignoble, du Languedoc au Bordelais en passant par le Jura, la Loire, la Bourgogne ou le Rhône, 2021 pourrait même être l’année la plus noire depuis des décennies. Le plus souvent démunis, sans aides ni assurances, les vignerons et vigneronnes tentent de faire face, avec les moyens du bord, ou doivent se contenter de constater les dégâts, souvent irrémédiables. Pour beaucoup, ce sera un millésime quasiment mort-né.

Bougies déployées dans les vignes au domaine La Grapp’A à Arbois (DR)

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies »

Fabien Brutout (domaine Le Facteur sur le Vélo) a des vignes à Vouvray et en Indre-et-Loire. Sur une partie de ses vignes, il a tenté de lutter activement contre le gel.

« J’ai utilisé des bougies de paraffine, sur deux hectares. Il en faut 300 par hectares, à environ 10 euros pièce… C’est cher et ce n’est vraiment pas l’idéal, parce que ça pollue. »

Le tout sans aides officielles. Si Fabien a pu se payer ces bougies – un budget conséquent d’environ 6000 euros – c’est grâce à la solidarité, une campagne de financement participative qu’il avait lancée lors de l’épisode de gel précédent.

« Il n’y a pas d’aides de l’État, parce qu’on peut s’assurer. Mais l’assurance ça coûte 2000 euros par an et par hectare, minimum. »

Autant dire que la plupart des domaines n’ont pas les moyens de s’assurer et ne l’envisagent pas un instant. De son côté, malgré les fameuses bougies, Fabien en est à 50 % de perte, pour le moment. Parce que cette année, c’est pire que tout.

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies », assure-t-il.

Bougies dans les vignes de Fabien Brutout (DR)

« Les bougies et les hélicos, c’est hors de prix »

Au domaine des Côtes de la Molière, à Vauxrenard (Beaujolais), Isabelle et Bruno Perraud, qui ne sont pas assurés contre le gel et ne toucheront a priori pas d’aides, sont plutôt fatalistes.

« On n’a rien tenté, parce que ça ne sert pas à grand-chose. Les bougies et les hélicos c’est hors de prix, et il y a aussi l’impact écologique… »

Certains domaines faisant en effet appel à des hélicoptères, qui survolent les vignes à très basse altitude pour brasser vivement l’air et prévenir ainsi le gel. Une pratique coûteuse et certainement discutable d’un point de vue écologique. Pas de ça chez les Perraud.

« Il faut admettre qu’on ne peut pas tout maîtriser. Demain on va faire de la tisane de consoude pour essayer de cicatriser tout ça. Les pertes sont importantes mais on ne sait pas encore les évaluer. »

Un bourgeon « brûlé » par le gel au domaine des Côtes de la Molière (DR)

La valériane, « ça limite la casse »

Au domaine La Paonnerie (Loire), Marie Carroget écarte d’emblée les bougies.

« On n’a pas les moyens et ça pollue. »

A la place, le domaine pulvérise dans les vignes des préparations à base de valériane, qu’il faut appliquer la veille des gelées puis le matin même.

« On a gelé partout, à différents degrés, il y aura forcément une grosse perte. Mais avec la valériane, on gagne à 1 à 2 degrés, ça limite la casse. En 2019, ça avait bien marché. On ne peut pas lutter contre le gel, alors on essaye d’accompagner la plante, pour qu’elle ne stresse pas trop. »

Action anti-gel dans les vignes à l’aube, au domaine La Paonnerie (DR)

« Gel en 2017, 2019 et 2021… »

Au domaine de Pelissols, à Bédarieux (Languedoc), Vincent Bonnal, qui travaille seul, n’a pu que constater les dégâts.

« Je n’ai rien tenté. Les braseros et autres joyeusetés, c’est compliqué à mettre en place quand t’es tout seul, et au vu des températures atteintes c’est peu efficace. »

« Niveau pertes, je suis entre 30 et 50 % minimum, le muscat a énormément morflé, de l’ordre de 90 %. Après c’est quelque chose qui finit toujours par arriver. En général, lorsque tu t’installes, tu dois prévoir de perdre une récolte tous les 5 ans en moyenne. L’intérêt d’être vigneron, c’est de pouvoir avoir du stock en cave pour lisser. Le souci, c’est surtout la répétition de plus en plus régulière de catastrophes climatiques. Gel en 2017, 2019 et 2021, sécheresse en 2019, mildiou hardcore en 2020… »

Des aides en perspective ?

« Peut-être, on va voir ce que les départements et régions vont proposer. Mais honnêtement je doute, surtout pour les tout petits comme moi. Peu de chance que cela compense de toute façon. »

« Plus de 95 % du pays est concerné »

Et ce ne sont là qu’une poignée de témoignages ; des milliers de domaines viticoles, pour ne parler que du vin, ont été lourdement affectés ces derniers jours. Dans le Jura, par exemple, c’est un véritable ravage. Chez Valentin Morel, à Poligny, les dégâts sont considérables, « plus graves qu’en 2017 et 2019 », avec un taux de perte « aux alentours de 80 % ». Valentin rappelant d’ailleurs qu’un gel début avril ne semble pas spécialement anormal.

« Ce qui l’est davantage est plutôt l’anormale douceur de la fin février et un temps estival durant 10 jours fin mars qui ont fait débourrer la vigne bien trop tôt. »

Au-delà, d’après l’agro-météorologue Serge Zaka, c’est simple : « Il s’agit très certainement de la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole ». Plus de « 95 % du pays est concerné ».

« Calamité agricole » et « Vendanges Solidaires »

Quoi qu’il en soit, en attendant d’éventuelles aides débloquées par le ministère de l’Agriculture (le gouvernement s’étant engagé à déployer le régime de calamité agricole), chacun et chacune peut déjà contribuer à son niveau, par exemple en faisant un don à l’association Vendanges Solidaires qui vient en aide aux vignerons et vigneronnes « mis en danger par le déréglement climatique ».

Très active, l’asso met régulièrement en œuvre des opérations caritatives pour donner de la visibilité à son action et engranger des fonds. Prochain rendez-vous le 15 avril, pour une vente aux enchères en ligne de belles bouteilles au profit des vignerons et vigneronnes sinistré·es.

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Boiriez-vous du vin naturel en canette ?

Le vin en canette existe depuis une dizaine d’années : des vins sans grand intérêt, vendus en supermarché et à l’export ; en bref, une niche du vin conventionnel. Mais, à la mi-mai, une vraie nouveauté va débarquer, chez les cavistes cette fois : du vin naturel conditionné en canettes. Et derrière, il n’y a pas n’importe qui.

Les premières canettes de vin naturel

Une pointure du vin nature à la manœuvre

C’est Jean-Pierre Robinot, que les amateurs et amatrices de vin naturel connaissent bien, qui ouvre le bal du vin nature en canettes (canettes qui, à la différence des autres, ne seront vendues que chez les cavistes indé et à l’export). Robinot, désormais épaulé par fille Juliette, est un puriste du vin nature : ses vins de Loire 100 % raisin vont et viennent chez les meilleurs cavistes depuis une vingtaine d’années. Membre de l’AVN (Association des vins naturels) depuis sa création, le vigneron a aussi cofondé l’association des vins S.A.I.N.S. (sans aucun intrant ni sulfites ajoutés) et est très largement respecté dans le milieu. Qu’est-ce qui lui a donc pris de vouloir mettre son nom sur une canette ?

« J’y pense depuis 30 ans »

Pourquoi du vin en canette ? Pourquoi pas, répond Jean-Pierre Robinot.

Jean-Pierre Robinot, le 19 mars 2021 chez « Crus & Découvertes » (Paris 11)

« Il y a la bière, bien sûr. Mais le vin en canette, j’y pense depuis 30 ans. Ça fait 20 ans que je suis vigneron, mais avant, quand je tenais un bistrot à paris, j’y pensais déjà. La canette, c’est à la portée de tous ceux qui ne connaissent pas le vin, ça pourrait amener d’autres amateurs à découvrir le vin nature, pour un pique-nique, sur les quais, n’importe où. Des gens qui sont pas spécialement branchés vin, plus jeunes, qui boivent de la bière, des sodas, ils vont tester… Et si on est seul, ça évite d’ouvrir une bouteille. »

A noter que dans ces premières canettes de vin naturel – un rouge de cabernet-franc et un blanc de chenin – ce n’est pas son vin qu’on trouvera.

« Je n’ai pas assez de vin. Mais j’ai choisi des vins qui sont solides, que j’ai testés avant. On en a écarté, un grolleau trop fragile par exemple. »

Il a rencontré un vigneron, installé dans le sud de l’Anjou, et lui a pris trente hectolitres de vin en conversion bio, vinifié en nature, sans aucun intrant, soit de quoi faire environ 8000 canettes ; lesquelles sont en aluminium, mais recouvertes pour la partie interne d’un vernis alimentaire protecteur afin que le vin soit isolé du métal.

« J’ai ramassé les raisins chez lui, mais le vin c’est lui qui l’a fait. Moi je vais en parler à tous mes importateurs, dans le monde entier. Aux Etats-Unis, il paraît qu’il se vend des millions de canettes. Là-bas ça devrait marcher, et peut-être dans d’autres pays du Nord. »

Et les cavistes ?

Mickael Lemasle de « Crus & Découvertes », cave parisienne réputée et exigeante en matière de vin nature, a pu goûter les deux premières cuvées sélectionnées par Jean-Pierre Robinot, qui seront ensuite conditionnées en collaboration avec la marque de canettes Winestar. Qu’en pense-t-il ?

« C’est pas mal. Mais je ne suis peut-être pas la cible. Je veux bien en faire un petit peu, pour voir ce que ça peut donner. Après en soi, la canette, pourquoi pas. »

En tout cas, les 8000 premières canettes « test », moitié de rouge moitié de blanc, seront disponibles à partir de la mi-mai. Deux vins qu’on a pu goûter et qui, en effet, sont tout à fait corrects, dans un genre accessible, a priori susceptible de convertir ceux et celles qui ne connaîtraient pas le vin naturel. Leur fabricant précise d’ailleurs que si les vins en canette ont par principe vocation à être consommés rapidement, ils peuvent aussi se conserver quelque temps sans problème.

Les canettes signées Robinot, d’une contenance de 25 cl, devraient sortir à environ 8 euros pièce ; un prix relativement élevé qui pourrait néanmoins s’avérer un frein sur le marché français… Il n’empêche, c’est bel et bien le premier vin naturel en canette.

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Actualitron #4 : une BD et deux procès

Bienvenue dans l’actualitron, notre podcast qui fait un tour rapide de l’actualité du vin. Aujourd’hui, on cause BD (indice : Glouglou) et procès avec un « s » (enfin oui, il y a toujours un « s » à procès, mais vous voyez l’idée). La suite dans vos oreilles !

Et pour retrouver la cagnotte Leetchi de soutien aux deux plaignantes dans l’affaire des caricatures, évoquée dans cet actualitron, c’est par ici.

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Procès des pesticides à Bordeaux : les « super-vilains » du CIVB

En 2020, l’association Alerte aux toxiques a publié les résultats d’analyses révélant la présence de nombreux résidus de pesticides dans des vins, essentiellement de Bordeaux, pourtant labellisés HVE (« Haute Valeur Environnementale »). En réaction, l’interprofession des vins de Bordeaux (CIVB) a porté plainte — et elle vient de remporter une première bataille avec une condamnation de l’association et de sa porte-parole Valérie Murat pour dénigrement, assortie de dommages et intérêts à hauteur de 125 000 euros. Cette réaction procédurière et agressive du CIVB était-elle bienvenue ? Va-t-elle servir au mieux les intérêts de la filière des vins de Bordeaux que le CIVB est censé représenter ?

Un tire-bouchon Dark Vador (source : Cadeau dans le mille)

Qui perd gagne

Médiatiquement, déjà, c’est mort : Basta, Le Canard Enchaîné, Reporterre, La Croix, 20 Minutes, L’Express, Rue89 Bordeaux, le JT de 20 heures de France 2 (qui a même refait des analyses confirmant la présence de nombreux résidus dans un échantillon HVE sur deux) et bien d’autres médias, y compris étrangers, ont relayé l’affaire, en mettant généralement davantage en avant le combat et la peine subie par Valérie Murat et son association, plutôt que le point de vue du CIVB. Un « backlash », ou retour de bâton, doublé d’un effet Streisand, qui était pourtant largement prévisible.

L’avocat de la défense, Eric Morain, parle d’ailleurs de « procédure bâillon ». En clair : l’intention de faire taire les lanceurs et lanceuses d’alertes dénonçant l’usage immodéré des pesticides dans l’agriculture, et dans le vignoble en particulier. Raté.

Une image doublement écornée

Toutes les conditions semblent donc réunies pour faire passer le CIVB, et avec lui les vins de Bordeaux, pour les super-vilains de l’histoire. Un échec de communication patent, mais aussi semble-t-il un échec stratégique total pour l’interprofession bordelaise. J’ai réalisé un sondage (via Twitter) dont les résultats sont sans appel : 60 % des personnes ayant répondu considèrent que cette condamnation — alors même qu’elle leur est favorable — « nuit à l’image des vins de Bordeaux », quand moins de 5 % d’entre elles estiment que la victoire du CIVB au tribunal (temporaire, qui plus est, avant appel) redore cette même image…

Même si un sondage via Twitter n’a évidemment pas valeur scientifique, le différentiel des réponses est trop net pour ne pas être considéré.

Jusqu’à 100 000 euros de frais de justice pour le CIVB

Les vins de Bordeaux, et derrière eux les milliers de vignerons et vigneronnes de la région, ne méritent-ils pas une représentation (qu’ils et elles, pour rappel, financent via les fameuses contributions volontaires obligatoires) plus digne et fine que cela ?

Les moyens employés par le CIVB pour cette assignation en justice [contacté, le CIVB n’a pas, à cette heure, répondu à ma demande concernant le montant des frais de procédure engagés par l’interprofession dans cette affaire] n’auraient-ils pas pu trouver meilleur usage ?

D’après plusieurs spécialistes, vu le pedigree du cabinet d’avocats (Bredin Prat) sollicité par le CIVB, ces frais pourraient osciller entre 40 000 et 100 000 euros. Une somme pour le moins conséquente.

De quoi HVE est-il le nom ?

Sur le fond, est-il normal qu’on retrouve quasi-systématiquement des traces et résidus de pesticides (en l’occurrence, un cocktail de sept molécules différentes en moyenne) dans des vins labellisés « Haute Valeur Environnementale » ? Parmi les molécules détectées : des perturbateurs endocriniens potentiels, des substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) probables et des fongicides SDHI. Quelle image cela renvoie-t-il de la viticulture en question, censée valoriser l’environnement ? Le CIVB n’aurait-il pas dû plutôt remercier l’association Alerte aux toxiques et employer ces fonds, non pas pour l’envoyer au tribunal, mais pour participer à l’amélioration technique d’un label manifestement bancal ? Au 1er juillet 2020, plus de 8000 exploitations agricoles étaient pourtant déjà certifiées HVE (un nombre, qui plus est, en très forte croissance).

Autant de questions dont nous espérons avoir bientôt les réponses du CIVB (l’article sera bien sûr mis à jour le cas échéant).

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Actualitron #3 : « TikTok », mixité choisie et milliards d’euros…

Bienvenue dans l’actualitron, notre podcast bimensuel qui fait un tour rapide de l’actualité du vin. Aujourd’hui, on cause d’un vigneron de 23 ans qui cartonne sur TikTok, de mixité choisie (et de médias moisis) et de 23 milliards d’euros qui n’iront pas dans la poche des bio… La suite dans vos oreilles !

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Entretiens

Œnologouine : « Ces mots sont politiques »

Sous le nom d’Œnologouine, Delphine Aslan organise des ateliers de dégustation de vins de vigneronnes en « mixité choisie ». Suite à un portrait d’elle paru dans Libération, son compte Instagram a été temporairement suspendu et elle a été la cible de commentaires haineux. Interview.

Les « men », souvent très fragiles et très lourds (NWII/DR).

NWII — Tu peux nous rappeler le principe de tes ateliers « Œnologouine » et notamment la « mixité choisie » ?

Delphine Aslan : Ce sont en effet des ateliers de dégustation de vins en mixité « choisie », c’est-à-dire sans homme cis (la distinction est importante car les mecs trans sont les bienvenus). On y déguste des vins vivants faits par des vigneronnes. D’ailleurs, ces ateliers permettent à certaines, qui ô grand jamais ne seraient allées dans un atelier d’un format plus classique, de découvrir les vins, la dégustation, d’entendre parler de vins vivants ou naturels, d’avoir accès à des domaines qui travaillent dans le respect du terroir et des raisins. Du coup, le projet c’était aussi d’amener ces personnes-là à cette belle découverte, de les conforter à ouvrir la porte de leur caviste de quartier, etc. [Delphine est d’ailleurs formée au métier de caviste, entre autres casquettes : restauratrice et BTS viti-oeno en cours – ndlr]. Alors je ne pense pas faire de mal au milieu du vin. Au contraire, j’essaie d’être un des relais qui en ouvrent un peu plus grand la porte.

Pourquoi as-tu choisi ce nom, « Œnologouine » ?

D’abord, j’aime les mots-valises incongrus. Ensuite, j’utilise pour me définir les mots « lesbienne » ou « gouine », alternativement. Puisque beaucoup m’ont demandé de m’expliquer là-dessus, il me semble important de rappeler que ces mots sont encore aujourd’hui considérés comme « choquants » et font même régulièrement l’objet de censure sur les réseaux sociaux, malgré la mobilisation persistante des militant-e-s LGBTI. Ces mots sont politiques. « Gouine » est une insulte que nous nous réapproprions, pour retourner le stigmate : plus je dis gouine, plus ce mot m’appartient, moins quand tu m’insultes, ça fait sens, ça m’atteint. Derrière ce mot, il y a une histoire, et une identité politique forte, à fort potentiel transgressif, presque révolutionnaire : la preuve, il choque encore terriblement ! Et là-dessus, je fais remarquer que ce n’est pas, jamais, aux personnes non-concernées de dicter aux autres comment se nommer, quel vocabulaire utiliser. Les injonctions à utiliser des mots « convenables », « acceptables », cachent souvent, au fond, le pire. Ici, dire à une lesbienne qu’elle n’a pas le droit de s’appeler gouine, qu’il faut qu’elle lisse sa parole, donc son identité, donc son existence, c’est de la lesbophobie. On m’a par ailleurs interpelée en me demandant pourquoi dans un commentaire j’avais parlé de ma compagne, pourquoi je parlais de ma « sexualité » (sic). On ne demanderait jamais, jamais, à une personne hétéro pourquoi elle parle de sa compagne ou de son compagnon. Jamais. Ce qu’on me demande, c’est de gommer cette part, pourtant si importante pour moi. C’est ce qu’on nous demande, si souvent, dans le milieu du travail…. Au contraire, en créant le projet « Œnologouine », j’ai souhaité que les milieux deviennent poreux — constituer une fenêtre, aussi petite soit-elle. 

Delphine Aslan animant un atelier « Œnologouine » (DR).

Ton travail, tes ateliers, ont été mis en lumière dans un récent article de Libération, quelles en ont été les conséquences ?

L’article a pas mal tourné, il y a eu beaucoup de commentaires haineux. Quelques messages en privé aussi. Mon compte Instagram a été suspendu 24 heures [il vient d’être réactivé alors que nous publions cet entretien – ndlr]. Beaucoup de haine, et heureusement aussi, beaucoup de soutien. Merci à toutes les personnes qui ont pris la parole pour me soutenir, c’est super précieux dans ces cas-là.  

Comment expliques-tu que le compte Instagram d’Œnologouine ait été suspendu le lendemain de la parution de l’article ?

Le jour même ! C’était rapide. Je pense que des mascus ont fait un petit « raid » organisé pour signaler mon compte. Donc dans le doute, Instagram ne réfléchissant que par algorithmes, j’ai été suspendue sans vérification préalable. 

Va-t-il être réactivé ? Est-il le cas échéant menacé d’une suspension plus longue ? Y a-t-il une condition pour éviter toute future suspension ?

Après « l’examen » de mon cas, il vient d’être réactivé. Ce qui est sûr c’est que je refuse tout changement de nom. Il y a une association loi 1901 avec ce nom, si les autorités françaises m’ont laissée tranquille, Instagram devrait pouvoir le faire aussi…

Un certain nombre de professionnels du vin ont d’ailleurs commenté cet article sur les réseaux sociaux en moquant ou critiquant ton initiative, avec des relents parfois homophobes, cela t’étonne-t-il ?

Non, pas du tout. J’aurais d’ailleurs dû m’y préparer. La plupart de ces gens qui se veulent meilleurs que tout le monde n’ont pas la moindre idée de la lesbophobie à laquelle on peut être confrontée dans la société. Je lis même, ici ou là, des rapprochements avec la pédocriminalité, l’apocalypse, le fascisme… Je ne tombe pas de haut, le milieu du vin est — comme beaucoup de milieux — rétrograde, sexiste, LGBT-phobe. C’est d’ailleurs le sujet du dossier dans Libération

Comment expliques-tu plus généralement que tant d’hommes cisgenres n’acceptent pas, par principe, la non-mixité ?

C’est un outil auquel bon nombre d’entre eux refusent de réfléchir. Il est tellement plus simple de rejeter en bloc… Ceux qui refusent d’y réfléchir sont souvent aussi Blancs, valides, et sont hérissés et blessés par les concepts d’oppression systémique et de privilège. Ils ne veulent pas entendre qu’ils ont des privilèges, que d’autres en ont moins, ou pas les mêmes, et que ces « autres », en l’occurrence ici des femmes lesbiennes, pourraient apprécier de vivre des moments entre elles : pour organiser leur lutte politique, ou tout simplement pour avoir plus de chances d’obtenir la parole, d’être écoutées, d’être comprises, de se sentir à l’aise. Ces hommes, qui se sentent légitimes partout, qui ont accès à absolument tous les espaces, ont beaucoup de mal à affronter une exclusion, aussi temporaire et insignifiante soit-elle. Ils surjouent l’indignation et s’autoproclament non problématiques, ramenant tout à eux. Avec une facilité déconcertante, d’ailleurs. Ils feignent aussi de ne pas comprendre qu’on parle de 2 heures d’atelier, ce qui revient davantage à une respiration dans le quotidien qu’à une « ségrégation » comme j’ai pu le lire… 

Qu’est-ce que tu vas ouvrir comme bonnes quilles maintenant que ton compte Insta est rétabli (et quand le patriarcat sera renversé) ?

Ah ! Merci de me poser cette question, on m’a reproché de ne pas parler assez de vin, mais sans m’en donner l’occasion ! Hier pour le réconfort j’ai ouvert « Kiffe Kiffe », de Lolita Sene… Et pour continuer sur ma lancée, je pense que je vais ouvrir « Putes féministes », une macération de gewurztraminer… cuvée militante des camarades de Vins & Volailles !  

On peut notamment suivre Delphine Aslan / Œnologouine sur Instagram et sur Facebook.

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Actualitron #2 : covid marabouté, pesticides coupables, cuivre innocent et bordeaux de l’espace…

Bienvenue dans l’actualitron, notre podcast bimensuel qui fait un tour rapide de l’actualité du vin. Aujourd’hui, on parle covid marabouté, pesticides coupables (mais cuivre innocent) et bordeaux de l’espace… La suite dans vos oreilles !

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Bordeaux unbashing

Le « bordeaux bashing », c’est un marronnier du mondovino depuis plus de 10 ans déjà. La première mention de cette expression que j’ai retrouvée, c’est sous la plume d’un Américain (logique), dans le Wall Street Journal daté du 4 décembre 2010 : “Bordeaux bashing has become a new form of wine snobbery” (« le dénigrement du bordeaux est devenue une nouvelle forme de snobisme du vin »). Mais pas n’importe quel Américain : l’auteur de cette phrase n’est autre que Jay McInerney. Ce célèbre écrivain du vin (romancier à la base, proche de Bret Easton Ellis à qui il a été associé dans le Brat Pack) serait-il l’inventeur de l’expression en question, usée depuis jusqu’à la corde, des deux côtés de l’Atlantique ? A priori, non : la maternité pourrait bien en revenir plutôt à Alice Feiring, autre autrice bien connue dans le milieu du vin, qui l’a employée dans un article du magazine Wine & Spirit daté lui aussi de décembre 2010 mais paru en novembre — c’est serré. On pencherait donc plutôt pour elle, même si, de son côté, elle n’en est pas certaine… Convenons qu’à défaut d’autre preuve matérielle, on peut la lui attribuer !

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Actualitron #1 : couvre-feu, « Paye ton pinard », Michelin et « Nicolas »

Bienvenue dans l’actualitron, notre nouveau podcast bimensuel qui fait un tour rapide de l’actualité du vin. C’est-à-dire l’actualité qui nous intéresse, pas la dernière marque de champagne à avoir plongé six caisses dans l’océan Pacifique ou le nouveau rosé de Brad Pitt à 30 balles. Aujourd’hui, on parle cavistes et pseudo-cavistes, cagnotte sororitaire et solidaire et guide du pneu. La suite dans vos oreilles !

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Ivresse : cinquante nuances de «gris»

Durant les fêtes, en moyenne, 66% d’entre nous boivent de l’alcool, et finissent, pour beaucoup, un peu pompettes, gris, ivres, voire complètement saouls… Quitte à l’être de nouveau cette année, autant le bredouiller avec originalité : voici cinquante (et quelques) façons de dire son ivresse !