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Affaire de la caricature sexiste : « J’aimerais qu’on laisse mon corps de femme tranquille »

Il y a deux mondes. Et ils étaient très visibles ce mardi 4 mai, à la 17e chambre du Tribunal de Paris, où sont traitées les affaires de la presse. À droite, Thierry Desseauve, 63 ans, directeur de la rédaction d’En Magnum, est assis derrière son conseil, Maître Christophe Bigot. Derrière eux se tient Régis Franc, l’auteur de la caricature, ainsi que quelques soutiens, uniquement masculins. À gauche, Fleur Godart, 35 ans, est entourée de ses amies et collègues ainsi que de Maître Eric Morain, qui l’assiste. 

Sans notes, les mains dans le dos, Thierry Desseauve s’avance à la barre  : « C’est la première fois en trente ans d’exercice de ce métier que je suis convoqué dans une audience de ce type. C’est extrêmement douloureux d’être identifié comme un représentant du sexisme et du machisme de cette profession. » D’après lui, ce dessin ne « dépasse pas les limites de la caricature classique ». 

La caricature mise en cause

Des ennemis de classe ? 

Fleur Godart tremble imperceptiblement. Avant le procès, elle arpentait les couloirs, son texte à la main. La parole, ici, est la seule arme. Et dans ce théâtre qu’est la justice, avec les effets de manche de ses acteurs, tout peut se jouer dans la force d’une intonation ou d’une virgule bien placée. Elle attend d’être appelée tandis que Thierry Desseauve poursuit : « On est devenus, pour un certain monde des vins nature, des ennemis de classe. Les gens qui nous attaquent pour ce dessin travaillent tous dans le monde des vins nature, comme Maître Morain et son éditeur, qui a écrit à une dizaine de nos annonceurs. (Ndlr : Thierry Desseauve fait ici référence à Antonin Iommi-Amunategui, également rédacteur en chef de ce site. Il sera régulièrement évoqué au cours du procès.) Cette affaire leur permet de se payer une institution. » Il affirme ensuite ne pas connaître Fleur Godart ainsi que « très peu d’agents en vin ». 

Fleur Godart relisant son texte avant le procès. Tribunal de Paris, 4 mai 2021.

Meilleure sommelière et « biocons »

Dans sa robe à trente-trois boutons, Maître Morain interpelle Thierry Desseauve  : « Savez-vous quand a été récompensée pour la première fois la meilleure sommelière de France ? » Thierry Desseauve l’ignore. « C’était en 2020 », répond l’avocat. Il lui demande ensuite de décrire le dessin. La publicité « Myriam », où une femme montrait d’abord le haut puis le bas, est aussitôt évoquée. Elle date de 1981.

Comme on en est aux bons vieux souvenirs, Me Morain demande alors à Thierry Desseauve s’il se rappelle de l’expression « biocon », formulée par Michel Bettane dans un article de 2007 où il exprimait sa position très réservée, et c’est un euphémisme, sur les vins naturels. Pas étonné d’être interrogé à ce sujet, il explique ce qu’a voulu dire « son maître » (sic) : « On percevait les vins nature comme un recul. Dans les bistrots, les chefs avaient une posture de rebelle, donc les vins devaient être rebelles. » 

« Défonçons-lui le Covid » 

Il est près de dix-huit heures, soit plus de quatre heures après le début supposé du procès, quand Thierry Desseauve est prié de fournir une explication sur la formule « Défonçons-lui le Covid ». « Il y a beaucoup de grotesque là-dedans, mais peut-être qu’il faut arrêter la caricature. Peut-être qu’on a changé d’époque », déplore-t-il, avant de faire l’éloge de Jean-François Bizot et de la clique d’Actuel

Grotesque est également le mot qui nous vient à l’esprit lorsqu’il s’agit d’évoquer la défense de Régis Franc, dessinateur et vigneron, qui n’hésite pas à décrire son dessin comme celui « d’un pauvre homme, un caviste, intimidé devant une jolie femme. La femme est très dominante. » Sur la parenté entre « Vins et Volailles », le nom commercial de la société de Fleur Godart, et « Poulet Rautiz », il affirme que c’est une référence implicite à son propre domaine, « Chante-Cocotte » (« comme dans l’expression Chante Cocotte, tu m’intéresses, se sent-il obligé d’expliquer à la Cour, entièrement féminine). « Enfin, pourquoi “Défonçons-lui le Covid” ? Parce que dans ce dessin la femme parle avec des termes un peu machistes, et l’homme est très humilié (sic). » (Fleur Godart insistera plus tard sur le pluriel employé dans « défonçons », qui relèverait d’après elle de la rape culture ou culture du viol – un simple coup d’œil aux étiquettes de n’importe quel caviste ou au compte Instagram Paye ton pinard convaincra les plus dubitatifs). « J’ai passé 10 ans chez Elle, poursuit Régis Franc, 73 ans. Si j’avais été agressif ou méchant avec les femmes, ça se serait su. Je trouve que la jeune femme que j’ai dessinée là est plutôt solide. » Qu’elle soit obligée, en période de Covid, de se prostituer pour survivre économiquement ne semble pas émouvoir le dessinateur. 

Climat sexiste dans le milieu du vin

C’est maintenant à la partie civile de s’exprimer. Fleur Godart revient sur le climat sexiste qui règne dans le milieu du vin et évoque de nombreux exemples : l’affaire Marc Sibard, dont elle a été victime, sans oublier les remarques incessantes sur son physique ou ses compétences remises en cause parce qu’elle est une femme. « J’aimerais qu’on me laisse tranquille. Qu’on laisse mon corps de femme tranquille, qu’on cesse de dire que je suis une pute. » Elle explique sa démarche de création de cuvées féministes, où l’insulte « pute », une fois réappropriée par la victime, se retourne comme une arme vers l’agresseur qui ne peut plus l’utiliser. « On a ici des hommes qui parlent de sexisme à une femme : moi, je veux qu’on arrête de me donner des leçons. »

La cuvée « Putes Féministes » de Vins & Volailles.

L’immédiateté de l’identification à Fleur Godart dans le dessin est ensuite évoquée par Me Morain. « Même si un cercle restreint d’initiés reconnaît quelqu’un, cela suffit. » Il rappelle que la loi 1881 est claire : c’est au directeur de la publication de faire la part des choses.

Des « tétons mobilisés » 

Cette démonstration ne semble pas convaincre la Procureure, qui affirme que « les éléments de contexte ne permettent pas d’identifier de manière évidente Madame Fleur Godart ». Néanmoins, elle précise : « Est-ce une injure à caractère sexiste ? Clairement, ce dessin a un caractère sexiste. La femme utilise ses attributs féminins […] et ses tétons proéminents sont mobilisés. »

Maître Christophe Bigot, le conseil du prévenu, frétille : « On a réussi par cette campagne à faire un merveilleux coup pour vendre des vins naturels ! » Le fait que Fleur Godart ait les cheveux blonds (« aux tempes rasées », souligne-t-il) lui inspirera par ailleurs un grand moment de plaidoirie capillaire.  

Confondant ensuite « BD » et « caricature » (il est intéressant de noter que BD et B+D forment les mêmes initiales, mais  nous laisserons le lecteur seul juge de ce lapsus), Me Christophe Bigot affirme qu’il serait dans la nature même de la BD d’être sexiste. « Le sexe est une inspiration majeure de la BD. Plus de stéréotypes, plus de BD ! » Qu’en pensent Pénélope Bagieu, Mirion Malle, Catel Muller, Anna Wanda Gogusey ou encore Alison Bechdel ?

Bingo anti-féministe

Il est vingt heures quand nous nous levons. Entre le mansplaining à outrance, le « on ne peut plus rien dire », le « c’était mieux avant » et beaucoup de ouin-ouin, on a touché le fond du bingo. En sortant du Palais désert, une phrase brille au-dessus des portiques de sécurité : « Tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable ». Mal de crâne – la journée a été longue.

Illustration issue de « Herstory, histoire(s) des féminismes » par Marie Kirschen et Anna Wanda Gogusey, éditions La Ville Brûle. Reproduit avec la permission de l’auteure.

« Une extraordinaire démonstration de paternalisme » 

Contactée le lendemain par téléphone, Fleur Godart commente brièvement : « Leur défense a été une extraordinaire démonstration de paternalisme à la Cour [entièrement féminine, pour rappel] : “Je vais vous expliquer à quel point vous êtes instrumentalisées” ! Une dernière chose : si j’avais attendu des procès en justice pour vendre du vin… » Elle ne terminera pas sa phrase – la suite le 8 juin, jour du rendu du délibéré.

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Gel historique sur l’Hexagone : le millésime 2021 salement amoché

C’est en train de devenir une mauvaise rengaine. A l’instar des canicules désormais récurrentes, les épisodes de gel sévères se succèdent à intervalles de plus en plus rapprochés, éteignant les bourgeons que le printemps a tout juste eu le temps d’éveiller, annihilant en quelques heures tout ou partie de la vendange à venir, comme cela vient de se produire en ces premiers jours d’avril. Et d’autres épisodes sont à craindre dans les jours prochains.

Dans le vignoble, du Languedoc au Bordelais en passant par le Jura, la Loire, la Bourgogne ou le Rhône, 2021 pourrait même être l’année la plus noire depuis des décennies. Le plus souvent démunis, sans aides ni assurances, les vignerons et vigneronnes tentent de faire face, avec les moyens du bord, ou doivent se contenter de constater les dégâts, souvent irrémédiables. Pour beaucoup, ce sera un millésime quasiment mort-né.

Bougies déployées dans les vignes au domaine La Grapp’A à Arbois (DR)

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies »

Fabien Brutout (domaine Le Facteur sur le Vélo) a des vignes à Vouvray et en Indre-et-Loire. Sur une partie de ses vignes, il a tenté de lutter activement contre le gel.

« J’ai utilisé des bougies de paraffine, sur deux hectares. Il en faut 300 par hectares, à environ 10 euros pièce… C’est cher et ce n’est vraiment pas l’idéal, parce que ça pollue. »

Le tout sans aides officielles. Si Fabien a pu se payer ces bougies – un budget conséquent d’environ 6000 euros – c’est grâce à la solidarité, une campagne de financement participative qu’il avait lancée lors de l’épisode de gel précédent.

« Il n’y a pas d’aides de l’État, parce qu’on peut s’assurer. Mais l’assurance ça coûte 2000 euros par an et par hectare, minimum. »

Autant dire que la plupart des domaines n’ont pas les moyens de s’assurer et ne l’envisagent pas un instant. De son côté, malgré les fameuses bougies, Fabien en est à 50 % de perte, pour le moment. Parce que cette année, c’est pire que tout.

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies », assure-t-il.

Bougies dans les vignes de Fabien Brutout (DR)

« Les bougies et les hélicos, c’est hors de prix »

Au domaine des Côtes de la Molière, à Vauxrenard (Beaujolais), Isabelle et Bruno Perraud, qui ne sont pas assurés contre le gel et ne toucheront a priori pas d’aides, sont plutôt fatalistes.

« On n’a rien tenté, parce que ça ne sert pas à grand-chose. Les bougies et les hélicos c’est hors de prix, et il y a aussi l’impact écologique… »

Certains domaines faisant en effet appel à des hélicoptères, qui survolent les vignes à très basse altitude pour brasser vivement l’air et prévenir ainsi le gel. Une pratique coûteuse et certainement discutable d’un point de vue écologique. Pas de ça chez les Perraud.

« Il faut admettre qu’on ne peut pas tout maîtriser. Demain on va faire de la tisane de consoude pour essayer de cicatriser tout ça. Les pertes sont importantes mais on ne sait pas encore les évaluer. »

Un bourgeon « brûlé » par le gel au domaine des Côtes de la Molière (DR)

La valériane, « ça limite la casse »

Au domaine La Paonnerie (Loire), Marie Carroget écarte d’emblée les bougies.

« On n’a pas les moyens et ça pollue. »

A la place, le domaine pulvérise dans les vignes des préparations à base de valériane, qu’il faut appliquer la veille des gelées puis le matin même.

« On a gelé partout, à différents degrés, il y aura forcément une grosse perte. Mais avec la valériane, on gagne à 1 à 2 degrés, ça limite la casse. En 2019, ça avait bien marché. On ne peut pas lutter contre le gel, alors on essaye d’accompagner la plante, pour qu’elle ne stresse pas trop. »

Action anti-gel dans les vignes à l’aube, au domaine La Paonnerie (DR)

« Gel en 2017, 2019 et 2021… »

Au domaine de Pelissols, à Bédarieux (Languedoc), Vincent Bonnal, qui travaille seul, n’a pu que constater les dégâts.

« Je n’ai rien tenté. Les braseros et autres joyeusetés, c’est compliqué à mettre en place quand t’es tout seul, et au vu des températures atteintes c’est peu efficace. »

« Niveau pertes, je suis entre 30 et 50 % minimum, le muscat a énormément morflé, de l’ordre de 90 %. Après c’est quelque chose qui finit toujours par arriver. En général, lorsque tu t’installes, tu dois prévoir de perdre une récolte tous les 5 ans en moyenne. L’intérêt d’être vigneron, c’est de pouvoir avoir du stock en cave pour lisser. Le souci, c’est surtout la répétition de plus en plus régulière de catastrophes climatiques. Gel en 2017, 2019 et 2021, sécheresse en 2019, mildiou hardcore en 2020… »

Des aides en perspective ?

« Peut-être, on va voir ce que les départements et régions vont proposer. Mais honnêtement je doute, surtout pour les tout petits comme moi. Peu de chance que cela compense de toute façon. »

« Plus de 95 % du pays est concerné »

Et ce ne sont là qu’une poignée de témoignages ; des milliers de domaines viticoles, pour ne parler que du vin, ont été lourdement affectés ces derniers jours. Dans le Jura, par exemple, c’est un véritable ravage. Chez Valentin Morel, à Poligny, les dégâts sont considérables, « plus graves qu’en 2017 et 2019 », avec un taux de perte « aux alentours de 80 % ». Valentin rappelant d’ailleurs qu’un gel début avril ne semble pas spécialement anormal.

« Ce qui l’est davantage est plutôt l’anormale douceur de la fin février et un temps estival durant 10 jours fin mars qui ont fait débourrer la vigne bien trop tôt. »

Au-delà, d’après l’agro-météorologue Serge Zaka, c’est simple : « Il s’agit très certainement de la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole ». Plus de « 95 % du pays est concerné ».

« Calamité agricole » et « Vendanges Solidaires »

Quoi qu’il en soit, en attendant d’éventuelles aides débloquées par le ministère de l’Agriculture (le gouvernement s’étant engagé à déployer le régime de calamité agricole), chacun et chacune peut déjà contribuer à son niveau, par exemple en faisant un don à l’association Vendanges Solidaires qui vient en aide aux vignerons et vigneronnes « mis en danger par le déréglement climatique ».

Très active, l’asso met régulièrement en œuvre des opérations caritatives pour donner de la visibilité à son action et engranger des fonds. Prochain rendez-vous le 15 avril, pour une vente aux enchères en ligne de belles bouteilles au profit des vignerons et vigneronnes sinistré·es.

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Lacasse du siècle #4 : Pasteurise-moi bien fort

Quel rapport entre les vaccins, la malo, les francs-maçons et une pinte de Kro ? Aucune, sinon cette 4e chronique « alcoolol » de Marie-Ève qui s’est bien tiré une balle dans le pied en salle de rédaction le jour où elle a dit qu’elle « ferait des jokes sur Pasteur ». C’est fait.

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Procès des pesticides à Bordeaux : les « super-vilains » du CIVB

En 2020, l’association Alerte aux toxiques a publié les résultats d’analyses révélant la présence de nombreux résidus de pesticides dans des vins, essentiellement de Bordeaux, pourtant labellisés HVE (« Haute Valeur Environnementale »). En réaction, l’interprofession des vins de Bordeaux (CIVB) a porté plainte — et elle vient de remporter une première bataille avec une condamnation de l’association et de sa porte-parole Valérie Murat pour dénigrement, assortie de dommages et intérêts à hauteur de 125 000 euros. Cette réaction procédurière et agressive du CIVB était-elle bienvenue ? Va-t-elle servir au mieux les intérêts de la filière des vins de Bordeaux que le CIVB est censé représenter ?

Un tire-bouchon Dark Vador (source : Cadeau dans le mille)

Qui perd gagne

Médiatiquement, déjà, c’est mort : Basta, Le Canard Enchaîné, Reporterre, La Croix, 20 Minutes, L’Express, Rue89 Bordeaux, le JT de 20 heures de France 2 (qui a même refait des analyses confirmant la présence de nombreux résidus dans un échantillon HVE sur deux) et bien d’autres médias, y compris étrangers, ont relayé l’affaire, en mettant généralement davantage en avant le combat et la peine subie par Valérie Murat et son association, plutôt que le point de vue du CIVB. Un « backlash », ou retour de bâton, doublé d’un effet Streisand, qui était pourtant largement prévisible.

L’avocat de la défense, Eric Morain, parle d’ailleurs de « procédure bâillon ». En clair : l’intention de faire taire les lanceurs et lanceuses d’alertes dénonçant l’usage immodéré des pesticides dans l’agriculture, et dans le vignoble en particulier. Raté.

Une image doublement écornée

Toutes les conditions semblent donc réunies pour faire passer le CIVB, et avec lui les vins de Bordeaux, pour les super-vilains de l’histoire. Un échec de communication patent, mais aussi semble-t-il un échec stratégique total pour l’interprofession bordelaise. J’ai réalisé un sondage (via Twitter) dont les résultats sont sans appel : 60 % des personnes ayant répondu considèrent que cette condamnation — alors même qu’elle leur est favorable — « nuit à l’image des vins de Bordeaux », quand moins de 5 % d’entre elles estiment que la victoire du CIVB au tribunal (temporaire, qui plus est, avant appel) redore cette même image…

Même si un sondage via Twitter n’a évidemment pas valeur scientifique, le différentiel des réponses est trop net pour ne pas être considéré.

Jusqu’à 100 000 euros de frais de justice pour le CIVB

Les vins de Bordeaux, et derrière eux les milliers de vignerons et vigneronnes de la région, ne méritent-ils pas une représentation (qu’ils et elles, pour rappel, financent via les fameuses contributions volontaires obligatoires) plus digne et fine que cela ?

Les moyens employés par le CIVB pour cette assignation en justice [contacté, le CIVB n’a pas, à cette heure, répondu à ma demande concernant le montant des frais de procédure engagés par l’interprofession dans cette affaire] n’auraient-ils pas pu trouver meilleur usage ?

D’après plusieurs spécialistes, vu le pedigree du cabinet d’avocats (Bredin Prat) sollicité par le CIVB, ces frais pourraient osciller entre 40 000 et 100 000 euros. Une somme pour le moins conséquente.

De quoi HVE est-il le nom ?

Sur le fond, est-il normal qu’on retrouve quasi-systématiquement des traces et résidus de pesticides (en l’occurrence, un cocktail de sept molécules différentes en moyenne) dans des vins labellisés « Haute Valeur Environnementale » ? Parmi les molécules détectées : des perturbateurs endocriniens potentiels, des substances classées CMR (cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques) probables et des fongicides SDHI. Quelle image cela renvoie-t-il de la viticulture en question, censée valoriser l’environnement ? Le CIVB n’aurait-il pas dû plutôt remercier l’association Alerte aux toxiques et employer ces fonds, non pas pour l’envoyer au tribunal, mais pour participer à l’amélioration technique d’un label manifestement bancal ? Au 1er juillet 2020, plus de 8000 exploitations agricoles étaient pourtant déjà certifiées HVE (un nombre, qui plus est, en très forte croissance).

Autant de questions dont nous espérons avoir bientôt les réponses du CIVB (l’article sera bien sûr mis à jour le cas échéant).

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Œnologouine : « Ces mots sont politiques »

Sous le nom d’Œnologouine, Delphine Aslan organise des ateliers de dégustation de vins de vigneronnes en « mixité choisie ». Suite à un portrait d’elle paru dans Libération, son compte Instagram a été temporairement suspendu et elle a été la cible de commentaires haineux. Interview.

Les « men », souvent très fragiles et très lourds (NWII/DR).

NWII — Tu peux nous rappeler le principe de tes ateliers « Œnologouine » et notamment la « mixité choisie » ?

Delphine Aslan : Ce sont en effet des ateliers de dégustation de vins en mixité « choisie », c’est-à-dire sans homme cis (la distinction est importante car les mecs trans sont les bienvenus). On y déguste des vins vivants faits par des vigneronnes. D’ailleurs, ces ateliers permettent à certaines, qui ô grand jamais ne seraient allées dans un atelier d’un format plus classique, de découvrir les vins, la dégustation, d’entendre parler de vins vivants ou naturels, d’avoir accès à des domaines qui travaillent dans le respect du terroir et des raisins. Du coup, le projet c’était aussi d’amener ces personnes-là à cette belle découverte, de les conforter à ouvrir la porte de leur caviste de quartier, etc. [Delphine est d’ailleurs formée au métier de caviste, entre autres casquettes : restauratrice et BTS viti-oeno en cours – ndlr]. Alors je ne pense pas faire de mal au milieu du vin. Au contraire, j’essaie d’être un des relais qui en ouvrent un peu plus grand la porte.

Pourquoi as-tu choisi ce nom, « Œnologouine » ?

D’abord, j’aime les mots-valises incongrus. Ensuite, j’utilise pour me définir les mots « lesbienne » ou « gouine », alternativement. Puisque beaucoup m’ont demandé de m’expliquer là-dessus, il me semble important de rappeler que ces mots sont encore aujourd’hui considérés comme « choquants » et font même régulièrement l’objet de censure sur les réseaux sociaux, malgré la mobilisation persistante des militant-e-s LGBTI. Ces mots sont politiques. « Gouine » est une insulte que nous nous réapproprions, pour retourner le stigmate : plus je dis gouine, plus ce mot m’appartient, moins quand tu m’insultes, ça fait sens, ça m’atteint. Derrière ce mot, il y a une histoire, et une identité politique forte, à fort potentiel transgressif, presque révolutionnaire : la preuve, il choque encore terriblement ! Et là-dessus, je fais remarquer que ce n’est pas, jamais, aux personnes non-concernées de dicter aux autres comment se nommer, quel vocabulaire utiliser. Les injonctions à utiliser des mots « convenables », « acceptables », cachent souvent, au fond, le pire. Ici, dire à une lesbienne qu’elle n’a pas le droit de s’appeler gouine, qu’il faut qu’elle lisse sa parole, donc son identité, donc son existence, c’est de la lesbophobie. On m’a par ailleurs interpelée en me demandant pourquoi dans un commentaire j’avais parlé de ma compagne, pourquoi je parlais de ma « sexualité » (sic). On ne demanderait jamais, jamais, à une personne hétéro pourquoi elle parle de sa compagne ou de son compagnon. Jamais. Ce qu’on me demande, c’est de gommer cette part, pourtant si importante pour moi. C’est ce qu’on nous demande, si souvent, dans le milieu du travail…. Au contraire, en créant le projet « Œnologouine », j’ai souhaité que les milieux deviennent poreux — constituer une fenêtre, aussi petite soit-elle. 

Delphine Aslan animant un atelier « Œnologouine » (DR).

Ton travail, tes ateliers, ont été mis en lumière dans un récent article de Libération, quelles en ont été les conséquences ?

L’article a pas mal tourné, il y a eu beaucoup de commentaires haineux. Quelques messages en privé aussi. Mon compte Instagram a été suspendu 24 heures [il vient d’être réactivé alors que nous publions cet entretien – ndlr]. Beaucoup de haine, et heureusement aussi, beaucoup de soutien. Merci à toutes les personnes qui ont pris la parole pour me soutenir, c’est super précieux dans ces cas-là.  

Comment expliques-tu que le compte Instagram d’Œnologouine ait été suspendu le lendemain de la parution de l’article ?

Le jour même ! C’était rapide. Je pense que des mascus ont fait un petit « raid » organisé pour signaler mon compte. Donc dans le doute, Instagram ne réfléchissant que par algorithmes, j’ai été suspendue sans vérification préalable. 

Va-t-il être réactivé ? Est-il le cas échéant menacé d’une suspension plus longue ? Y a-t-il une condition pour éviter toute future suspension ?

Après « l’examen » de mon cas, il vient d’être réactivé. Ce qui est sûr c’est que je refuse tout changement de nom. Il y a une association loi 1901 avec ce nom, si les autorités françaises m’ont laissée tranquille, Instagram devrait pouvoir le faire aussi…

Un certain nombre de professionnels du vin ont d’ailleurs commenté cet article sur les réseaux sociaux en moquant ou critiquant ton initiative, avec des relents parfois homophobes, cela t’étonne-t-il ?

Non, pas du tout. J’aurais d’ailleurs dû m’y préparer. La plupart de ces gens qui se veulent meilleurs que tout le monde n’ont pas la moindre idée de la lesbophobie à laquelle on peut être confrontée dans la société. Je lis même, ici ou là, des rapprochements avec la pédocriminalité, l’apocalypse, le fascisme… Je ne tombe pas de haut, le milieu du vin est — comme beaucoup de milieux — rétrograde, sexiste, LGBT-phobe. C’est d’ailleurs le sujet du dossier dans Libération

Comment expliques-tu plus généralement que tant d’hommes cisgenres n’acceptent pas, par principe, la non-mixité ?

C’est un outil auquel bon nombre d’entre eux refusent de réfléchir. Il est tellement plus simple de rejeter en bloc… Ceux qui refusent d’y réfléchir sont souvent aussi Blancs, valides, et sont hérissés et blessés par les concepts d’oppression systémique et de privilège. Ils ne veulent pas entendre qu’ils ont des privilèges, que d’autres en ont moins, ou pas les mêmes, et que ces « autres », en l’occurrence ici des femmes lesbiennes, pourraient apprécier de vivre des moments entre elles : pour organiser leur lutte politique, ou tout simplement pour avoir plus de chances d’obtenir la parole, d’être écoutées, d’être comprises, de se sentir à l’aise. Ces hommes, qui se sentent légitimes partout, qui ont accès à absolument tous les espaces, ont beaucoup de mal à affronter une exclusion, aussi temporaire et insignifiante soit-elle. Ils surjouent l’indignation et s’autoproclament non problématiques, ramenant tout à eux. Avec une facilité déconcertante, d’ailleurs. Ils feignent aussi de ne pas comprendre qu’on parle de 2 heures d’atelier, ce qui revient davantage à une respiration dans le quotidien qu’à une « ségrégation » comme j’ai pu le lire… 

Qu’est-ce que tu vas ouvrir comme bonnes quilles maintenant que ton compte Insta est rétabli (et quand le patriarcat sera renversé) ?

Ah ! Merci de me poser cette question, on m’a reproché de ne pas parler assez de vin, mais sans m’en donner l’occasion ! Hier pour le réconfort j’ai ouvert « Kiffe Kiffe », de Lolita Sene… Et pour continuer sur ma lancée, je pense que je vais ouvrir « Putes féministes », une macération de gewurztraminer… cuvée militante des camarades de Vins & Volailles !  

On peut notamment suivre Delphine Aslan / Œnologouine sur Instagram et sur Facebook.

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Lacasse du siècle #2 : L’Odyssée de Pénélope

Second épisode de la chronique (alcoo)lol de Marie-Ève : L’Odyssée du point de vue de Pénélope résumée en deux coups de cuiller à pot. Attention, ça défrise (sa toile). 

La chronique alcoolol de Marie-Ève
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Bordeaux unbashing

Le « bordeaux bashing », c’est un marronnier du mondovino depuis plus de 10 ans déjà. La première mention de cette expression que j’ai retrouvée, c’est sous la plume d’un Américain (logique), dans le Wall Street Journal daté du 4 décembre 2010 : “Bordeaux bashing has become a new form of wine snobbery” (« le dénigrement du bordeaux est devenue une nouvelle forme de snobisme du vin »). Mais pas n’importe quel Américain : l’auteur de cette phrase n’est autre que Jay McInerney. Ce célèbre écrivain du vin (romancier à la base, proche de Bret Easton Ellis à qui il a été associé dans le Brat Pack) serait-il l’inventeur de l’expression en question, usée depuis jusqu’à la corde, des deux côtés de l’Atlantique ? A priori, non : la maternité pourrait bien en revenir plutôt à Alice Feiring, autre autrice bien connue dans le milieu du vin, qui l’a employée dans un article du magazine Wine & Spirit daté lui aussi de décembre 2010 mais paru en novembre — c’est serré. On pencherait donc plutôt pour elle, même si, de son côté, elle n’en est pas certaine… Convenons qu’à défaut d’autre preuve matérielle, on peut la lui attribuer !

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Actualitron #1 : couvre-feu, « Paye ton pinard », Michelin et « Nicolas »

Bienvenue dans l’actualitron, notre nouveau podcast bimensuel qui fait un tour rapide de l’actualité du vin. C’est-à-dire l’actualité qui nous intéresse, pas la dernière marque de champagne à avoir plongé six caisses dans l’océan Pacifique ou le nouveau rosé de Brad Pitt à 30 balles. Aujourd’hui, on parle cavistes et pseudo-cavistes, cagnotte sororitaire et solidaire et guide du pneu. La suite dans vos oreilles !

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Critiques de vin et autres pros : sommes-nous tous des alcoolos ?

La plupart des textes qui concernent le vin m’ennuient. Les fiches de dégustation me font bailler. J’aime ce que le vin draine comme autres sujets ; quand il est le point de départ d’une discussion plus vaste. « Pourquoi le vin est-il intimidant » est un vrai prétexte pour parler de sociologie. « Être sommelière et Noire » est une question politique. « Pourquoi les femmes dans le vin sont encore marginalisées » reste une obsession philosophique. La liste est longue. 

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Le problème avec les vieux mâles blancs du vin

Avertissement préalable : tous les vieux mâles blancs du vin ne posent pas de problème (je ne suis d’ailleurs pas loin, à 46 ans, d’en être un moi-même), mais tout le problème semble venir de vieux mâles blancs du vin. Surtout, derrière ce titre délibérément provocateur, il y a une réalité qui, si elle est évidemment loin d’être propre au seul milieu du vin, s’y manifeste violemment.