Catégories
Articles

Gel historique sur l’Hexagone : le millésime 2021 salement amoché

C’est en train de devenir une mauvaise rengaine. A l’instar des canicules désormais récurrentes, les épisodes de gel sévères se succèdent à intervalles de plus en plus rapprochés, éteignant les bourgeons que le printemps a tout juste eu le temps d’éveiller, annihilant en quelques heures tout ou partie de la vendange à venir, comme cela vient de se produire en ces premiers jours d’avril. Et d’autres épisodes sont à craindre dans les jours prochains.

Dans le vignoble, du Languedoc au Bordelais en passant par le Jura, la Loire, la Bourgogne ou le Rhône, 2021 pourrait même être l’année la plus noire depuis des décennies. Le plus souvent démunis, sans aides ni assurances, les vignerons et vigneronnes tentent de faire face, avec les moyens du bord, ou doivent se contenter de constater les dégâts, souvent irrémédiables. Pour beaucoup, ce sera un millésime quasiment mort-né.

Bougies déployées dans les vignes au domaine La Grapp’A à Arbois (DR)

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies »

Fabien Brutout (domaine Le Facteur sur le Vélo) a des vignes à Vouvray et en Indre-et-Loire. Sur une partie de ses vignes, il a tenté de lutter activement contre le gel.

« J’ai utilisé des bougies de paraffine, sur deux hectares. Il en faut 300 par hectares, à environ 10 euros pièce… C’est cher et ce n’est vraiment pas l’idéal, parce que ça pollue. »

Le tout sans aides officielles. Si Fabien a pu se payer ces bougies – un budget conséquent d’environ 6000 euros – c’est grâce à la solidarité, une campagne de financement participative qu’il avait lancée lors de l’épisode de gel précédent.

« Il n’y a pas d’aides de l’État, parce qu’on peut s’assurer. Mais l’assurance ça coûte 2000 euros par an et par hectare, minimum. »

Autant dire que la plupart des domaines n’ont pas les moyens de s’assurer et ne l’envisagent pas un instant. De son côté, malgré les fameuses bougies, Fabien en est à 50 % de perte, pour le moment. Parce que cette année, c’est pire que tout.

« On n’a rien vu de pareil depuis des décennies », assure-t-il.

Bougies dans les vignes de Fabien Brutout (DR)

« Les bougies et les hélicos, c’est hors de prix »

Au domaine des Côtes de la Molière, à Vauxrenard (Beaujolais), Isabelle et Bruno Perraud, qui ne sont pas assurés contre le gel et ne toucheront a priori pas d’aides, sont plutôt fatalistes.

« On n’a rien tenté, parce que ça ne sert pas à grand-chose. Les bougies et les hélicos c’est hors de prix, et il y a aussi l’impact écologique… »

Certains domaines faisant en effet appel à des hélicoptères, qui survolent les vignes à très basse altitude pour brasser vivement l’air et prévenir ainsi le gel. Une pratique coûteuse et certainement discutable d’un point de vue écologique. Pas de ça chez les Perraud.

« Il faut admettre qu’on ne peut pas tout maîtriser. Demain on va faire de la tisane de consoude pour essayer de cicatriser tout ça. Les pertes sont importantes mais on ne sait pas encore les évaluer. »

Un bourgeon « brûlé » par le gel au domaine des Côtes de la Molière (DR)

La valériane, « ça limite la casse »

Au domaine La Paonnerie (Loire), Marie Carroget écarte d’emblée les bougies.

« On n’a pas les moyens et ça pollue. »

A la place, le domaine pulvérise dans les vignes des préparations à base de valériane, qu’il faut appliquer la veille des gelées puis le matin même.

« On a gelé partout, à différents degrés, il y aura forcément une grosse perte. Mais avec la valériane, on gagne à 1 à 2 degrés, ça limite la casse. En 2019, ça avait bien marché. On ne peut pas lutter contre le gel, alors on essaye d’accompagner la plante, pour qu’elle ne stresse pas trop. »

Action anti-gel dans les vignes à l’aube, au domaine La Paonnerie (DR)

« Gel en 2017, 2019 et 2021… »

Au domaine de Pelissols, à Bédarieux (Languedoc), Vincent Bonnal, qui travaille seul, n’a pu que constater les dégâts.

« Je n’ai rien tenté. Les braseros et autres joyeusetés, c’est compliqué à mettre en place quand t’es tout seul, et au vu des températures atteintes c’est peu efficace. »

« Niveau pertes, je suis entre 30 et 50 % minimum, le muscat a énormément morflé, de l’ordre de 90 %. Après c’est quelque chose qui finit toujours par arriver. En général, lorsque tu t’installes, tu dois prévoir de perdre une récolte tous les 5 ans en moyenne. L’intérêt d’être vigneron, c’est de pouvoir avoir du stock en cave pour lisser. Le souci, c’est surtout la répétition de plus en plus régulière de catastrophes climatiques. Gel en 2017, 2019 et 2021, sécheresse en 2019, mildiou hardcore en 2020… »

Des aides en perspective ?

« Peut-être, on va voir ce que les départements et régions vont proposer. Mais honnêtement je doute, surtout pour les tout petits comme moi. Peu de chance que cela compense de toute façon. »

« Plus de 95 % du pays est concerné »

Et ce ne sont là qu’une poignée de témoignages ; des milliers de domaines viticoles, pour ne parler que du vin, ont été lourdement affectés ces derniers jours. Dans le Jura, par exemple, c’est un véritable ravage. Chez Valentin Morel, à Poligny, les dégâts sont considérables, « plus graves qu’en 2017 et 2019 », avec un taux de perte « aux alentours de 80 % ». Valentin rappelant d’ailleurs qu’un gel début avril ne semble pas spécialement anormal.

« Ce qui l’est davantage est plutôt l’anormale douceur de la fin février et un temps estival durant 10 jours fin mars qui ont fait débourrer la vigne bien trop tôt. »

Au-delà, d’après l’agro-météorologue Serge Zaka, c’est simple : « Il s’agit très certainement de la catastrophe agricole due au gel la plus importante depuis la révolution agricole ». Plus de « 95 % du pays est concerné ».

« Calamité agricole » et « Vendanges Solidaires »

Quoi qu’il en soit, en attendant d’éventuelles aides débloquées par le ministère de l’Agriculture (le gouvernement s’étant engagé à déployer le régime de calamité agricole), chacun et chacune peut déjà contribuer à son niveau, par exemple en faisant un don à l’association Vendanges Solidaires qui vient en aide aux vignerons et vigneronnes « mis en danger par le déréglement climatique ».

Très active, l’asso met régulièrement en œuvre des opérations caritatives pour donner de la visibilité à son action et engranger des fonds. Prochain rendez-vous le 15 avril, pour une vente aux enchères en ligne de belles bouteilles au profit des vignerons et vigneronnes sinistré·es.

Par Antonin Iommi-Amunategui

Rédacteur en chef

1 Commentaire
le plus ancien
le plus récent le plus populaire
Inline Feedbacks
View all comments
trackback

[…] samedi 10 avril, un article est notamment paru sur le gel historique qui a sévi la semaine dernière, anéantissant une quantité invraisemblable de vignes. Les […]